$$\newcommand{\mtn}{\mathbb{N}}\newcommand{\mtns}{\mathbb{N}^*}\newcommand{\mtz}{\mathbb{Z}}\newcommand{\mtr}{\mathbb{R}}\newcommand{\mtk}{\mathbb{K}}\newcommand{\mtq}{\mathbb{Q}}\newcommand{\mtc}{\mathbb{C}}\newcommand{\mch}{\mathcal{H}}\newcommand{\mcp}{\mathcal{P}}\newcommand{\mcb}{\mathcal{B}}\newcommand{\mcl}{\mathcal{L}} \newcommand{\mcm}{\mathcal{M}}\newcommand{\mcc}{\mathcal{C}} \newcommand{\mcmn}{\mathcal{M}}\newcommand{\mcmnr}{\mathcal{M}_n(\mtr)} \newcommand{\mcmnk}{\mathcal{M}_n(\mtk)}\newcommand{\mcsn}{\mathcal{S}_n} \newcommand{\mcs}{\mathcal{S}}\newcommand{\mcd}{\mathcal{D}} \newcommand{\mcsns}{\mathcal{S}_n^{++}}\newcommand{\glnk}{GL_n(\mtk)} \newcommand{\mnr}{\mathcal{M}_n(\mtr)}\DeclareMathOperator{\ch}{ch} \DeclareMathOperator{\sh}{sh}\DeclareMathOperator{\th}{th} \DeclareMathOperator{\vect}{vect}\DeclareMathOperator{\card}{card} \DeclareMathOperator{\comat}{comat}\DeclareMathOperator{\imv}{Im} \DeclareMathOperator{\rang}{rg}\DeclareMathOperator{\Fr}{Fr} \DeclareMathOperator{\diam}{diam}\DeclareMathOperator{\supp}{supp} \newcommand{\veps}{\varepsilon}\newcommand{\mcu}{\mathcal{U}} \newcommand{\mcun}{\mcu_n}\newcommand{\dis}{\displaystyle} \newcommand{\croouv}{[\![}\newcommand{\crofer}{]\!]} \newcommand{\rab}{\mathcal{R}(a,b)}\newcommand{\pss}[2]{\langle #1,#2\rangle} $$
Bibm@th

Représentativité au Conseil Européen

C'était au mois de juin 2007. La réunion des chefs d'état européens est très tendue. Les échanges entre Allemands et Polonais notamment sont particulièrement vifs. L'un des enjeux de ces débats est le nombre de voix que chaque Etat doit posséder au Conseil de l'Europe.

Il est assez clair que Malte, et ses 400000 habitants, ne peut pas revendiquer autant de voix que l'Allemagne, où 82 millions de personnes vivent. Mais il est beaucoup moins clair de savoir quel doit être le nombre de voix de chacun pour que le système soit le plus juste possible. Et d'abord, qu'est-ce qu'un système juste?

Ces questions ont été abordées par le mathématicien Penrose en 1954. Il définit un système de vote comme le plus juste possible si, en moyenne, les décisions prises par le conseil reflètent le mieux possible l'opinion des citoyens. Penrose fait aussi les hypothèses suivantes :

  • Chaque état connait exactement l'opinion de ses habitants et vote comme la majorité d'entre eux le désire (je sais, cette hypothèse est complètement naïve, mais les mathématiciens sont souvent de doux rêveurs!).
  • Chaque habitant se forge son opinion sur la question en fonction de ses convictions personnelles, indépendamment les uns des autres, et indépendamment de tout facteur extérieur (hypothèse au moins aussi naïve que la précédente, mais bon...).

Penrose démontre alors que le système le plus juste possible est obtenu quand le nombre de représentants d'un état est proportionnel à la racine carrée de son nombre d'habitants. C'est un résultat assez étonnant (j'aurais parié, comme beaucoup, que le nombre de représentants aurait dû être proportionnel au nombre d'habitants). Comme quoi, les mathématiciens peuvent utilement conseiller les politiques!

Mathématisation du problème

Une bonne compréhension de la fin de cette page demande quelques connaissances en probabilités et en calcul différentiel...

La preuve du résultat de Penrose n'est en fait pas très compliquée. On suppose qu'on étudie au total $N$ habitants, répartis dans $M$ pays. Chaque état possède $N_k$ habitants, de sorte que $N_1+\dots+N_M=N$. L'opinion de la $i$-ème personne du $k$-ième pays est notée $X_{k,i}$, avec $X_{k,i}=1$ pour eprésenter "OUI" et $X_{k,i}=-1$ pour représenter "NON". On suppose que les propositions sont faites complètement au hasard et qu'il y a autant de chances de répondre "OUI" que de répondre "NON". Autrement dit, on a :

L'hypothèse d'indépendance concernant les opinions de chacun signifie que les variables aléatoires $(X_i)$ sont indépendantes. En termes probabilistes, on dit que $(X_i)$ est un schéma de Bernoulli. L'opinion "moyenne" de la population est donc représentée par :

Par exemple, O vaut +1 si l'organisation d'un référendum aurait donné 100% de "OUI", 0 s'il aurait donné 50% de "OUI", -1 s'il aurait donné aucun oui.

Passons maintenant au vote du conseil. On note $m_k$ le nombre de voix que possède l'état $k$, et $m=m_1+\dots+m_k$. L'état $k$ vote comme la majorité de sa population. Sa contribution au vote du conseil est donc

est la fonction qui vaut 1 sur [0,+oo[ et -1 sur ]-oo,0[. Le vote du conseil est obtenu en combinant ces votes. Il est donc

Si l'on veut que le système soit le plus juste possible, on va chercher à faire en sorte que, en moyenne, |V-O| soit le plus petit possible (le vote du conseil représente l'opinion). En fait, comme souvent en probabilité, on va minimiser |V-O| non pas en moyenne, mais en moyenne quadratique. On cherche donc $m_k$ de sorte que

soit minimum. Posons

Remarquons enfin que le problème est homogène au sens suivant : si on multiplie le nombre de voix de chaque pays par le même nombre $c$, le résultat du vote du conseil est le même. On peut donc supposer que $m=m_1+\dots+m_k$ est constant. Notons $g$ la fonction définie par

Il nous faut donc optimiser $f$ sous la contrainte $g=Cste$. C'est un problème d'extrema liés, dont le résultat est donné par la méthode des multiplicateurs de Lagrange : en un point où le minimum est réalisé, alors

Il est très facile de calculer la différentielle de $g$. On a :

Calculons maintenant $df$. On a :

où on a noté

Maintenant, si $k$ est différent de $j$, puisque $E(S_k)=0$ et que $S_k$ et $S_j$ sont indépendants, on a

Si $k=j$, en utilisant $x×signe(x)=|x|$, on obtient

Combinant les égalités précédentes, on vient d'obtenir que

Ainsi, le système est juste si et seulement si il existe une constante $C$ telle que

Maintenant, le théorème limite central assure que

Ainsi, le système est juste si $m_j$ est proportionnel à , c'est-à-dire si le nombre de voix de chaque pays est proportionnel à la racine carrée de son nombre d'habitants.