Cryptographie!

L'affaire des époux Rosenbert et l'opération Venona

Les époux Rosenberg sont exécutés…

Nous sommes le 19 juin 1953, dans la prison de Sing Sing. Les messages de soutien affluant du monde entier n'ont eu aucun effet. Les deux enfants de 6 et 10 ans qui vont devenir orphelins n'ont pas suscité la compassion du président Eisenhower, qui a refusé d'accorder sa grâce. Les époux Rosenberg sont exécutés sur la chaise électrique. Condamnés pour espionnage envers les Etats-Unis. Dans un pays en pleine chasse aux sorcières communistes orchestrée par le sénateur Mc Carthy, ce crime était passible de la peine capitable. Et pourtant, les époux Rosenberg furent les seuls civils condamnés à mort pour espionnage pour le compte de l'URSS durant toute la guerre froide. Qu'avaient-ils donc fait de si grave?

Julius et Ethel Rosenberg se sont rencontrés en 1936, et mariés en 1939. Lui est juif, ingénieur électricien, et militant à la Jeunesse Communiste. Elle aspire à devenir actrice, mais gagne sa vie comme secrétaire. Elle milite également à la Jeunesse Communiste, où elle va rencontrer son époux. Pendant la guerre, Julius Rosenberg est employé comme ingénieur civil par l'armée américaine à Fort Monmouth, où d'importantes recherches sur les radars et les missiles guidés sont entreprises.

L'affaire Rosenberg commence réellement en 1949, quand l'URSS fait exploser sa première bombe nucléaire. Les Etats-Unis sont surpris de la rapidité avec laquelle les Russes sont parvenus à fabriquer cette arme. Soupçonnant depuis fort longtemps déjà un espionnage de leurs propres recherches atomiques par l'allié (le temps d'une guerre) communiste, ils finissent par identifier Klaus Fuchs, un allemand qui s'est réfugié aux Etats-Unis et qui travaillait pour le compte du Manhattan Project, le nom de code donné aux Etats-Unis au projet visant à fabriquer une bombe atomique. Ce scientifique avait fourni continuellement à l'URSS des informations secrètes sur le projet américain. En remontant la filière, le FBI arrive à David Greenglass, le frère d'Ethel Rosenberg. Greenglass travaille à Los Alamos, là même où est conçue la bombe. Très vite, il avoue et charge son beau-frère : c'est lui qui l'aurait recruté dans le réseau d'espionnage, lui qui l'aurait incité à se faire embaucher à Los Alamos. Sa soeur, elle, aurait été la secrétaire du réseau.

Le procès des Rosenberg a lieu en mars 1951. Malgré la faiblesse des preuves matérielles, sur la foi du seul témoignage de David Greenglass, ils sont condamnés à mort le 5 avril 1951. Malgré la promesse d'avoir la vie sauve en échange d'aveux, ils n'avoueront jamais. Quelques heures avant sa mort, Ethel Rosenberg écrit même ce message émouvant :

Mon mari et moi sommes innocents, nous ne pouvions trahir notre conscience. Aucune puissance ne nous séparera dans la vie ou dans la mort. Je ne vous demande qu'une chose : consolez mes petits

Et pourtant, il semble bien que les époux étaient réellement coupables de trahison, et que les plus hautes instances américaines le savaient sans vouloir le révéler. Cette preuve de culpabilité, c'est la cryptographie qui l'a apporté!

Le projet Venona

Même si l'URSS était alliée aux Etats-Unis dans la guerre contre l'Allemagne, les Etats-Unis se méfiaient de la politique à long terme de Staline, craignant notamment qu'il ne signe un traité de paix avec l'Allemagne. Sous l'impulsion du chef adjoint des renseignements militaires Carter W. Clarke, le projet Venona vit le jour en 1943. Son but était de décrypter les documents échangés par plusieurs agences de renseignement soviétiques. L'effort porta sur les messages échangés de 1942 à 1945, et le projet ne s'acheva qu'en 1980. Parmi les messages interceptés, environ 3000 purent au moins partiellement être décryptés.

Les premiers réels succès intervinrent en 1946. Pourtant, les russes utilisaient un chiffre en théorie incassable. Ils combinaient en effet un code pour convertir les mots et les lettres en nombres, auquel le système du masque jetable avec clé à usage unique et aussi longue que le texte est appliqué. Si la clé est choisie de façon parfaitement aléatoire, ce chiffre ne peut pas être décrypté sans la clé. Mais, comme souvent en cryptographie, ce sont des erreurs de protocole qui ont rendu ce chiffre vulnérable. En effet, la génération de clés à usage unique était à l’époque un processus lent et demandant beaucoup d’efforts. Par paresse, ou par commodité, les agent russes ont été amenés à réutiliser des morceaux de clés plusieurs fois. C'est cette faille que les cryptanalystes américains exploitèrent pour déchiffrer au moins partiellement les messages russes.

Quinze ans après la fin de l'opération Venona, en 1995, la NSA (le service de renseignement américain) rendit public les archives de l'opération Venona, et notamment le contenu de tous les messages décryptés. Il se trouve que certains de ces messages, déchiffrés dès 1947, prouvent qu'un individu identifié par les Russes sous les noms de code LIBERAL ou ANTENNA agissaient comme espion en faveur de l'URSS. L'individu correspondant à ce nom de code fut identifié formellement par le FBI en 1950 : c'était Julius Rosenberg.

Le procès des époux Rosenberg se déroula donc dans une atmosphère très étrange : le gouvernement américain savait, les époux savaient, leur premier soutien, le PC américain, savait qu'ils étaient des espions. Mais personne, pour protéger ses sources et une opération secrète pour les uns, pour faire des époux Rosenberg des martyrs du maccarthisme pour les autres, ne pouvait parler.

Cela dit, tout n'est pas si clair dans l'exécution des deux époux. Par exemple, si la culpabilité de Julius Rosenberg semble avérée, celle de sa femme l'est beaucoup moins. Les documents issus du projet Venona semblent lui donner un rôle mineur. Voici justement ci-dessous un des documents (ils se trouvent tous sur le site de la NSA) :