Déchiffrement d'un chiffre homophone par François Viète
La première personne à avoir vaincu le chiffrement homophone est certainement François Viète, mathématicien français né en 1540, surtout connu pour être le "père de l'algèbre moderne" (il est ainsi le premier à utiliser des lettres pour représenter les grandeurs connues ou inconnues). En tant que spécialiste du chiffre, il officia sous Henri III et surtout sous Henri IV. L'Europe traverse alors une époque difficile, celle des guerres de religion qui voient catholique et protestants s'affronter. Dès son accession au trône en 1589, Henri IV est sous la pression conjointe du roi Philippe d'Espagne et du duc de Mayenne. Il confie à Viète fin octobre 1589 un courrier destiné au roi Philippe d'Espagne envoyé par un émissaire de celui-ci, le commandeur Juan de Moreo. La cour d'Espagne a mis alors au point un nouveau procédé de chiffrement, qui utilise près de 500 symboles. Il s'agit d'un chiffre homophone où de plus certains couples de lettres désignent des mots (par exemple, LO signifie Espagne). Viète se met au travail et parvient à déchiffrer le message le 15 mars 1590. Celui-ci révèle les négociations menées par Moreo auprès du Duc de Mayenne :
Ce que Viète ne savait pas, c'est que ce déchiffrement ne servit à rien! L'armée royale avait défait les forces du Duc de Mayenne la veille, lors de la bataille d'Ivry. Mais ce n'était que partie remise, car Viète put alors lire pendant plusieurs annés la correspondance espagnole, malgré les changements de chiffre de celle-ci. Philippe d'Espagne, qui finit par s'en apercevoir, s'en émut au pape, accusant Viète d'avoir des pouvoirs de magie noire. Mais le Vatican avait lui-même un service du chiffre très abouti, dirigé par Giovanni Batista Argenti, et fit la sourde oreille aux récriminations espagnoles.
Quelques mois avant sa mort, Viète écrit un petit mémoire de cryptanalyse où il explique comment il procède pour déchiffrer. Une des clés est le fait d'avoir plusieurs versions d'une même lettre :
En utilisant un chiffrement homophone, les lettres chiffrées issues d'une même lettre seront différentes. Ceci permet alors de déterminer des symboles qui représentent la même lettre, puis de se ramener à l'analyse d'une simple substitution mono-alphabétique. Comme souvent, ce n'est pas la méthode de cryptographie qui est en cause, mais son utilisation!