Cryptographie!

Le disque de l'armée mexicaine

L'histoire

Chose très étonnante, le chiffre homophone, vaincu dès le XVIè siècle, fut encore utilisé par les plus hautes instances de certains pays au XXè siècle. L'exemple le plus célèbre est celui du Mexique, agité par une difficile période révolutionnaire de 1910 à 1917. En 1910, c'est le général Portifirio Diaz qui est au pouvoir depuis près de 30 ans. La contestation gronde, menée par Francisco I. Madero. Pour communiquer avec un de ses indéfectibles soutiens, le général Abraham Bandala, gouverneur de Tabasco, l'une des provinces mexicaines, Portifirio Diaz utilise simplement une variante du carré de Polybe. Le tableau de substitution est

1 2 3 4 5 6 7 8 9 0
1,2,3,4,5, 6 E A O R S N I D L C
7,8 T U M P G Y B H F Q
9 V Z J X

ce qui signifie qu'un E peut être remplacé par 11, 12, 13, 14, 15 ou 16, un M par 37 ou 38.

En 1911, Diaz est renversé, et Madero est élu Président. En février 1913, Victoriano Huerta mène un coup d’état, et le président Madero est assassiné. La révolte contre Huerta est alors menée par Venustiano Carranza, qui construit une armée baptisée les "constitutionalistes", avec le soutien secret du voisin, les Etats-Unis. Ces constitutionalistes, pour leurs échanges secrets, mettent au point un disque, qui est en fait simplement un moyen pratique de faire du chiffrement homophone. Le disque de l'armée mexicaine est en réalité constitué de 5 disques de diamètres différents, empilés les uns sur les autres, et qui peuvent tourner les uns par rapport aux autres. Chaque disque est partagé en 26 parts. Sur le bord du plus grand disque, on écrit les 26 lettres, de A à Z. Sur le bord du second disque, on écrit les 26 nombres 01,02,…,26. Sur le bord du troisième disque, on écrit 27,…,52, sur le bord du quatrième disque, 53,…78, et enfin sur le bord du plus petit dique, 79,…,99, et 00 (il reste 4 secteurs sans nombre sur le plus petit disque).

On convient alors d'une clé, qui est un mot de 4 lettres, par exemple FRED. On fait alors coïncider alors le plus petit nombre du deuxième disque, à savoir 01, avec la première lettre de la clé, ici F. On fait de même tourner le troisième disque pour faire coïncider son plus petit nombre, 27, en face de la deuxième lettre de la clé, R, et ainsi de suite pour les deux autres disques. On obtient alors le résultat suivant :

Pour chiffrer un message, on remplace alors une lettre par l'un des 3 ou 4 nombres qui lui fait face sur le disque. Ici, on pourrait remplacer E par 26, 40, 53 ou 80. Il s'agit donc d'un vrai chiffrement homophone, très pratique à mettre en oeuvre puisqu'il suffit de partager une clé de 4 lettres. Mais c'est un chiffrement homophone extrêmement faible, qui ne déjoue pas une simple analyse des fréquences (chaque lettre est remplacée par le même nombre de symboles), et pour lequel les substitutions opérées ne sont finalement que des chiffres de César. Autant dire que le disque de l'armée mexicaine n'a posé aucun problème de décryptage au voisin américain!

Le chiffre de l'armée mexicaine en pratique
     
L'origine du disque de l'armée mexicaine

Aussi étonnant que cela puisse paraitre, le disque de l'armée mexicaine est une invention française! Il apparait dans le numéro daté du 18 octobre 1890 de la revue Le Génie civil : revue générale des industries françaises et étrangères. C'est Henri Mamy, ingénieur des arts et manufactures, qui présente ce système dont il attribue l'origine à Ch. Kronberg. La description qu'il en fait est tout à fait conforme à celle que nous avons faite plus haut, et l'illustration est parfaitement similaire au disque utilisé plus tard par l'armée mexicaine :

Ce qui est très intéressant, c'est le texte qui conclut cette présentation :

Par cette méthode très simple, on dispose de plus de 400 000 combinaisons pour le choix d'une clé, ce qui rend le texte chiffré à peu près matériellement indéchiffrable. On pourrait, d'ailleurs, accroître encore la difficulté du déchiffrement en faisant tourner les quatre rayons de quelques crans, en nombre convenu d'avance, après avoir traduit un nombre de lettres convenu aussi d'avance. C'est un système à clé variable. On peut, enfin, comme dans les autres méthodes, pour dérouter les déchiffreurs, faire précéder le texte chiffré d'un certain nombre de chiffres nuls.

Si l'auteur a raison pour le nombre de clés (qui vaut en réalité $26^4$, soit 456976), il a tort sur le caractère indéchiffrable du message chiffré. Le nombre possible de clés ne fait pas la fiabilité d'un système cryptographique! Remarquons que l'amélioration qu'il propose (une sorte de chiffre de Vigenère mélangé à ce chiffrement homophone) constitue une amélioration notable du système, mais encore bien insuffisante même à la fin du XIXè siècle.

Merci à Rossignol pour avoir communiqué la référence la revue du Génie Civil!

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